Jardin Perdu

(quittant le reste du groupe)

Déjà, les bruits des autres sont feutrés par la végétation et la distance. Bientôt, leurs rais lumineux ne découpent plus que le noir lointain, là bas, en direction d’une présence orangée…

Ici, elle ne voit plus rien.
Mais elle devine.
Les plantes hautes et suaves, en quête de sa peau. Le corps chaud de Qays, à l’autre bout de son bras. Elle a beau resserrer l’étreinte, se coller à lui au fil de leur fuite, il lui semble toujours trop loin.
Leurs pas ralentissent. Ils ont envie de rire. Le frémissement de la pointe des herbes le fait à leur place. Comme un bruissement animé par le souffle d’un vent improbable.
Nuit noire abandonnée par la lune. Ils sont au milieu d’une prairie gigantesque. Aucune direction n’est souhaitable à une autre pour le moment.
Là comme en plein nulle part, dans un décor qui normalement n’existe pas.

Eve s’arrête, stoppant son partenaire aussi dans sa course.
Ses mains remontent le bras, contournent l’épaule, dessinent le cou et la joue, et fondent dans les cheveux blonds.
Il est là. Elle n’a pas besoin de fermer les yeux pour retrouver les souvenirs de lui. D’eux. D'avant.
Et en même temps, elle s’étonne encore de la sensation redevenue nouvelle, née dans la navette en partance pour le Codex One. Cette évidente complicité.
Il y a eu sept ans pourtant. Il y a eu une vie entre temps. Des remords, des blessures, des erreurs. Des choses qui ne s’effaceront pas, même maintenant qu’il est là.

Elle sait qu’il voit.
Elle respire sa chaleur.
Elle se doute qu’il sait.
Elle sourit.

- J’ai froid…
Juste une excuse, pourtant pas nécessaire, pour justifier sa halte.
Entre autre.

Civil Messages : 40 Date d'inscription : 20/09/2009 Age : 44

Ils avancent, leurs jambes frôlées par les herbes élastiques.

Il l'entraine sans savoir où ils vont.
Il l'entraîne loin des autres sans savoir pourquoi.
Sans vouloir savoir.

Parce qu'elle a toujours été là, même absente.
Parce qu'elle se manifestait à lui au hasard des moments et des lieux, image agréablement douloureuse surgissant d'une étiquette déchirée de pot de miel, d'un ruban prune à demi dénoué, d'un grondement d'orage. Et qu'il a l'a retrouvé. En route pour l'espace et un vaisseau extra terrestre.
Plus sur Terre. Dans le Ciel.

Et maintenant, il la tient, sa main enfermée dans la sienne, l'entrainant vers l'inconnu et l'obscurité sur un tapis vivant.
Main qui soudain le tire, le stoppe.
Il se retourne, la contemple en infrarouge, tourbillon rouge au niveau du ventre et du visage.
Sa main sur sa nuque le fait frissonner. Son parfum le fait chavirer.
Il la retrouve et la découvre.

Viens... Dans mes bras....
Il l'attire à lui, ses mains encerclant sa taille fine, son torse contre sa poitrine.
Il la devine, par sa chaleur et son odeur, sens technologiquement exacerbés au service du souvenir.
C'est toujours elle. Plus dure et plus sensuelle. Plus douce et plus assurée. Aussi entière et affirmée. Encore plus belle et désirable. Moins de peur, plus d'envies.

Alors que les tentacules, mutines, caressent leurs cuisses, son souffle frôle ses lèvres.
Pour la réchauffer.

Un frisson, quand leurs peaux se touchent. Quand ses mains se posent exactement là où elle le désirait.
Une danse, leurs âmes connectées. Là où elle veut qu’il soit. Comme il souhaite qu’elle devienne.
Le soupir de soulagement, quand la chaleur se répand, d’un corps à l’autre. Quand son souffle la caresse. Paupières closes, elle savoure cette respiration comme un baiser. C’est une question de millimètres. Comme un infime lien entre deux époques et plusieurs vies. Si leurs lèvres s’effleurent, alors viendra tout le reste.

Envie, d’oublier dans ses bras ce qui a put se passer. De ne pas penser à après.
Il n’y aura plus d’après, après ça. Juste ça. Ce contact, cet instant, sa présence brulante, et ce désir ardent. Juste Lui.
Ses doigts, mêlés aux cheveux courts, descendent tendrement sur la nuque et glissent sur le vêtement qu’il porte, pour conquérir son dos. Mains à plat, le besoin de se le réapproprier miette par miette. De le réapprendre.
Inconsciemment, elle ressert l’étreinte.

Elle ment. Il y aura forcément un après.
Mais elle ne veut plus la même fin. Plus jamais.
C’est là, contre lui, qu’elle réalise l’ampleur de sa solitude. Depuis lui. Depuis qu’elle est partie.
Seule, avec d’autres.
Elle sourit, dans le noir, blessée par l’ironie du sort, alors qu’elle détourne légèrement son visage. Sa bouche nichée dans le creux de son cou esquisse ici le baiser qu’elle refuse de lui donner.
Pour ne pas avoir la même fin, il leur faut un nouveau début…
Recommencer.

Elle chuchote, le nez dans ses mèches pales; le corps, fragile, tremblant un peu malgré tout.
- As-tu peur ?

J’ai peur…
Du lieu, de l’obscurité floue dans laquelle on est, des choses qui rodent.
Du bruit du vent qui se lève, du matin qui ne viendra jamais.
De moi.
Et du mal que je t’ai déjà fait.

Civil Messages : 40 Date d'inscription : 20/09/2009 Age : 44

Dans ses bras et c'est comme un retour. Comme les deux extrémités d'un lacet qui se sont croisés, écartés avant de se retrouver, après une boucle, pour former un noeud. Serré. Solide.
Désir en inspiration. Promesse en expiration. Respiration tantrique.
Etreinte qui se resserre, moelleux de sa poitrine contre son torse.

Retrouvailles au dessus du gouffre de l'absence, retrouvailles sur le pont étroit des souvenirs d'il y a 7 ans, d'il y a une vie, luttant contre le vertige des différences, des changements, des questions qui tentent, vents mauvais, de pousser dans le précipice.

Enlacés, chacun trouvant dans le corps de l'autre son équilibre, funambules hésitants, ils tiennent bon.
Un souffle longtemps rêvé si proche de ses lèvres.

Et elle détourne la tête.
Se refuse. S'écarte et s'éloigne.
Fuit.
Encore.

Il se raidit, se sent vaciller. Tourbillons d'interrogations qui redoublent d'intensité. Se serait-il mépris ? Aurait-il projeté sur ses actes son propre désir ?

As tu peur ?

De ton refus ? Des peut être ? De cet endroit ?...

Oui.. Un murmure dans ses cheveux. Un aveu et une acceptation.
Une nouvelle vie, hein ? lui chuchotte-t-il avec une voix rauque et rieuse dans l'oreille... Pour donner le change.
Pour une nouvelle vie.... on est servi... Rire pour chasser les démons.

C'est pourtant inquiétant cet endroit, les grognements, les yeux jaunes, les herbes vivantes, l'obscurité poisseuse.
Mais il n'en a cure.
Parce qu'il a l'impression que s'il la lâche, s'il relâche son étreinte, il la perdra à jamais.
Et rien d'autre n'a d'importance.

Il rit, ses lèvres dans ses cheveux trop sages.
Et elle se souvient, de tous leurs rires échangés. Les rires d’eux, sur les autres, sur leurs rêves et leurs désirs. Ses rires d’avant l’amour. Pendant, et même après.

Sa voix chaude lui rappelle ses propres mots dans la navette. Aller simple. Désir de salut. Effacer. "Nouvelle vie".
Elle frémit dans ses bras, ses doigts se crispant sur son t-shirt, presque à lui griffer le dos et les épaules. Cette peau si blanche qu’elle aimerait voir maintenant dans l’obscurité, pour s’assurer qu’elle n’hallucine pas.
Elle sourit, troublée, emplie de son parfum et de sa chaleur qu’ils partagent.
...Serre moi plus fort.

Cramponnée à lui comme si sa vie en dépendait, ses craintes la quittent progressivement, au rythme de leurs respirations entremêlées.
Il n’y a que lui. Le son de leurs souffles, de leurs gestes, et de cette prairie au calme inquiétant.
- Oui, une nouvelle vie, murmure t-elle tout doucement.
Une fois de plus, sa bouche trouve son cou et y pose un baiser, comme un point à sa phrase.
- Tout les deux, tu l’aurais cru ?
Elle résiste à l’envie de le mordiller, et l’embrasse encore, s’approchant lentement de son oreille. Un effleurement, puis la pression totale de ses lèvres pleines, sans équivoque.

Ne pas lui laisser le temps de répondre.
Ses doigts sur sa nuque.
Ses mains à lui, trouvant si naturellement leur place sur ses hanches, au creux de ses reins, sur la naissance de ses fesses...
- Ca aurait pu être pire.
Fugace sourire.
- Je veux dire, on aurait pu être dans un endroit plus glauque. Ta jungle, dans le noir, par exemple…
Les souvenirs audacieux au secours, contre son trac de collégienne.
Inspiration courte, complètement appuyée contre lui. Corps en équilibre précaire. S’il vacille, ils tomberont ensemble.

- J’aime bien. C’est nouveau tout ça.
Inconnu malgré tout, même si ça ressemble à ce que nous avions sur Terre, finit-elle, la voix brisée par les émotions contraires.
Qu’est ce qu’on fait là, Qays … ?

Elle se fige. Se tait et n’ose plus respirer.
La conscience accrue que la chute est proche. L’instant du faux pas.
Tomber ou s’envoler.
Avec lui.

Ici et maintenant. C’est tout.
Ne me lâche pas.

L’aveu dans un soupir, alors que ses lèvres retrouvent délicatement les siennes…

Civil Messages : 40 Date d'inscription : 20/09/2009 Age : 44

Il la serre contre lui, simplement heureux de son corps lové contre le sien.
Souvenirs kinesthésiques qui s'ajustent à la réalité de années écoulées.
D'infimes détails modifiés, une façon de se tenir, de bouger, de poser sa bouche contre son cou.

Une nouvelle vie tous les deux ?
Il s'amuse de l'ambiguïté de la question. C'est bien d'elle. Voilà pourquoi il répète tout haut, anxiété sous la taquinerie, espoir et sérieux saupoudrés de badinerie.

Ses mains qui reviennent d'un long exil et retrouvent la terre promise, au creux de ses reins, qui se posent, euphoriques et caressantes. Retour épidermique.

Mention de la jungle et flashs mémoriels brutaux de corps enlacés dans l'humus noir, de doigts qui se crispent sur une liane, d'odeurs putrides de végétation en décomposition mélangées au parfum de sexe salé.
Il se contente de sourire. Il sait qu'elle ne le voit pas, joue du léger malaise que son silence provoque.

Instant de silence, sous la caresse bruissante d'herbes mobiles, maelström d'émotions et d'évidences, parce que eux, au final.
Une évidence, leurs corps enlacés. Une évidence, leurs peurs et leurs désirs.
Une évidence leurs bouchent qui se cherchent.

Il goute la pulpe chaude de ses lèvres, son souffle sucré, l'humidité de sa langue. Cette fois-ci, pas de comparaison avec le passé, pas de sensation de retrouvailles. C'est comme une première fois, comme s'il ne l'avait, jamais, embrassée, émotion puissante et émerveillée, curieuse et intimidée.
Comme un départ et un commencement évident.

Son odorat modifié capte la puissance des phéromones qu'elle libère et son corps y réagit, poussée violente de désir, envie de nudité et de morsures.
Les herbes aussi réagissent, devenant caressantes, s'enroulant autour de leurs cuisses, inquisitrices et amoureuses.

Il s'écarte quitte ses lèvres mais à portée de son souffle pour la regarder, trouver ses yeux et y lire ce que jamais les mots ne diront.
Regard miroir qui lui renvoie ses propres émotions : désir, espoir, doute, questions, envie, peur.

Cette fois ci, c'est lui qui prend l'initiative, happant violemment sa bouche.

Ils finissent par se séparer, le souffle court et le coeur affolé.
Et maintenant ?
Aucun des deux ne prononce ces mots. C'est inutile.