Ailleurs. Cabine 3E/Sigma [Eve]

Elle a tellement de fois changé de domicile en dix ans…
C’est le quinzième.
Habitudes néo-nomades. Le besoin de peu de choses, pour se sentir chez elle. N’importe où.

Une odeur et un crépitement joyeux d’oignons qui rissolent dans une poêle, avec des dés de viandes et des épices. Des feuilles de maïs étalées partout sur le plan de travail et débordant sur les chaises hautes de l’autre coté.

Des aplats de couleurs vives sur les murs de la cabine. Terre rouge. Sablé de plages exotiques. Jaune éclatant. Vert foret d’émeraude. Bleu pacifique. Traits, feuilles, spirale, fresques abstraites sur fond trop blanc.
Ça lui a prit quelques jours pour barioler son petit appartement deux pièces. Le plus difficile ayant été de trouver les pigments dans les quelques boutiques du Codex One.
Il aurait sans doute suffit de demander à Anima Cura de changer les teintes. Mais c’était se priver du plaisir enfantin de se barbouiller de peinture au passage.
D’ailleurs, un pan de la chambre n’est pas sec. Et Eve porte sur sa joue brune, une jolie trace d’un vert tendre. Maquillage guerrier improvisé, qui la fait rire pendant qu’elle cuisine.

Grains de maïs écrasés. Farine de manioc, en nuage. Parfum de cumin. Piquant d’un petit piment qu’elle croque comme une friandise.

Canapé d’angle aux coussins accueillants. Deux fauteuils ergonomiques. Une table basse.
À la vue sur l’immensité de l’espace, des rideaux orangés. Faire comme si. Faire semblant. Etre sur Terre. Et que rien ne diffère.
Ces voilages aux fenêtres comme un petit rayon de soleil envers et contre tout. Une pointe de chaleur dans le noir intersidéral.

Sobre salle d’eau.
Wc escamotables. Vasque d’évier en pierre imitée.
Douche. Les baignoires, de toute façon, sont toujours trop courtes pour la longueur de ses jambes.
La senteur diffuse de ses quelques crèmes. Karité, huile d’argan, noix de coco.

Sur le grand lit, le contenu de ses valises.
Un vieux sac à dos usé. Un assortiment de vêtements hétéroclite : de la robe de soirée empaquetée sous vide, au short découpé dans un jean élimé, débardeurs de baroudeuse, chemises plus classiques, taffetas, lin, dentelle, tulle coloré, boutons et lacets…
Une trousse à outils entourée de chaussures à talons.
Gros cahier couvert de cuir fauve, négligement posé sur une perruque platine.

Dodelinant de la tête en mélangeant les oignons frits, le poulet et la purée de maïs avec les doigts, elle se dit qu’elle va dormir une nuit de plus sur le sofa.

Son confort tient en peu de choses. Ici, comme ailleurs.
Fragrances nourricières, couleurs primaires et barda sans-frontière.